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Critique

Clefs pour Klee.Par le phénoménologue Alain Bonfand, un essai d'esthétique et une biographie critique et historique de Paul Klee, ou comment les malheurs d'un siècle modèlent la gestuelle du peintre. Alain Bonfand, L'EXPERIENCE ESTHETIQUE À L'ÉPREUVE DE LA PHENOMENOLOGIE, PUF, 132 pp., 98 F; PAUL KLEE, LE GESTE EN SURSIS, Hachette, «Coup double», 96 pp., 49 F.

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publié le 18 janvier 1996 à 23h49

Romancier et phénoménologue ­ élève de Jean-Luc Marion ­, Alain

Bonfand publie dans Paul Klee, le geste en sursis, une biographie critique qui restitue le rapport de l'oeuvre de Klee à l'Europe déchirée du début du XXe siècle. «Klee commence à peindre à une période de l'histoire où celle-ci ne paraît plus être en mesure d'offrir à l'artiste un destin autre que contrarié et douloureux.» Les premières oeuvres sont dominées par «une atonie, une étrangeté, une indifférence opaque», et «à partir de 1935, la tonalité de l'angoisse comme celle de la peur deviennent la seule couleur de l'horizon de l'oeuvre». Dans les gravures initialement figuratives de Klee, «la nature salutaire qui était celle du romantisme est devenue le sol désolé d'un arbre atrophié ("), elle réapparaît avec le rat, image emblématique de l'épidémie et de la ruine ("). La nature subsiste pour Klee sous la forme d'une idée perdue, dont il ne reste que ces figures de désolation ou de menace».

Lors d'un voyage en Tunisie, en 1914, il écrit dans son journal: «La couleur et moi sommes un: je suis peintre.» Alain Bonfand montre que «les oeuvres de Klee ne donnent plus à voir des choses réelles, visibles, mais les conditions de leur visibilité, de leur apparaître.» Klee inaugure ainsi une «dialectique du visible et de l'invisible» où le visible «porte et offre l'invisible», et va penser la perspective comme un «stratagème» qu'il veut faire éclater au bénéfice de la pure forme colorée: «La perspective n'est plus pour Kl