Bien que publié depuis deux ans aux Etats-Unis, Minuit dans le
jardin du bien et du mal figure encore aujourd'hui très haut sur la liste des best-sellers non fiction du New York Times, qu'il n'a pas quittée depuis cent dix semaines. A Savannah, sujet et décor du livre de John Berendt, il est devenu «the book», appellation normalement réservée pour la Bible. Anathème de taille, assurément, dans un Etat comme la Géorgie, pratiquement le centre de la «Bible Belt». Mais ce joyau historique n'a jamais vraiment fait partie de ce Sud-là, restant à toute époque ville grande ouverte, telles les cuisses de ces putains et les portes de ces saloons qui n'ont jamais fermé, même durant la Prohibition. Et puis le jardin du titre est un cimetière, le coup de minuit délimitant le temps pour faire le bien et le temps pour faire le mal, d'après une Noire boulotte à lunettes violettes nommée Minerva, patricienne très pot-au-feu de la magie noire et grande mastiqueuse de racines devant l'Eternel un des personnages les plus saisissants d'un ouvrage qui en compte pas mal, dont le sinistre et dérangé Luther Driggers, préposé municipal à l'empoisonnement des insectes et vermines, qu'on a vu plusieurs fois en plein Monterey Square en train de promener des mouches en laisse.
Autant dire que Minuit dans le jardin du bien et du mal n'est pas un livre comme les autres, pas plus que Savannah ne peut se comparer à ses consoeurs du Sud. Sûre de sa beauté, Savannah a toujours su et voulu se tenir à l'écart.