Pendant des semaines, les deux auteurs ont crapahuté dans le nord de Djibouti, cette «oreille collée à la porte de l’Abyssinie», se sont éreintés sur le toit du train pour Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, ont traversé les hauts plateaux de tout leur long, aboutissant finalement en Erythrée, l’Etat nouveau-né du continent, avant de redescendre à la mer, à Massaoua, toujours du côté africain du Bab El-Mandeb, la porte des Larmes. Pendant tout ce voyage, Depardon est sorti dès l’aube, Leica en mains, alors que Guillebaud a veillé tard la nuit, penché sur des livres, des coupures de journaux, une valise de documents. Leur livre, suite d’instantanés qui doit peu au hasard, narre la quête obstinée et rimbaldienne de deux professionnels «pressés de trouver le lieu et la formule».
Luttant contre «l'usure du regard», Depardon montre «cette écrasante beauté qui, sans cesse, là-bas, se trouve mêlée au malheur, cette concomitance inexprimable de la désespérance et d'une splendeur qui», à Guillebaud, «paraît sans beaucoup d'équivalent dans le monde». Sans franchir la porte des larmes, le photographe saisit la dignité de l'Afrique malgré sa déchéance, l'écrivain-journaliste revient sur le «rébus abyssin», constate qu'ici, «l'idéologie a tiré à balles réelles».
Guillebaud apure un passé qui est aussi le sien, se demande «à quoi sert le journalisme», les «gloses bavardes» de ceux qui, au mieux, ne sont «pas assez savants pour être blasés mais trop bien renseignés pour s'ébahir innocemmen