Au long de ses cent soixante-dix années d'existence, la Revue des
Deux Mondes est devenue une institution nationale, aussi indiscutable que le Sénat ou l'Académie française. Grâce au choix de textes publié par Flammarion, on redécouvre une revue qui fut associée à tous les débats du XIXe siècle. Lancée en 1830 par François Buloz, elle s'inscrit d'emblée dans un orléanisme de bon aloi, qui se gardera aussi bien à droite (des excès autocratiques de Napoléon III) qu'à gauche (des passions anticléricales de la IIIe République). oecuménisme que l'on retrouve jusque dans le titre et la couverture de la revue, avec ses deux allégories féminines représentant l'Europe (habillée) et l'Amérique (dénudée)... Dès 1830, Balzac lui-même donne le ton, avec un conte intitulé le Petit Souper, et où il imagine une confrontation ambiguë entre Robespierre et Marat, le premier illustrant la toute-puissance de la raison d'Etat, le second celle de l'Idée. Mais la couleur qui règne alors sur ces Deux Mondes, c'est plutôt celle d'un romantisme héroïque: Vigny en offre un manifeste grandiose dans sa Laurette ou le cachet rouge, portrait d'un vieux soldat mettant un point d'honneur à traîner après lui, sa vie durant, la veuve d'un homme qu'il a dû exécuter sur ordre. Une réelle force tragique n'y évite pas toujours le pathos et l'on verra resurgir cette tentation du sublime au tournant du prochain siècle, avec les couplets cocardiers de Rostand ou la prose altière de Barrès, devenu le héraut d'une re