Lorsqu'on lui demande pour quel obscur motif il s'est laissé naguère
absorber par son double San Antonio, l'écrivain Frédéric Dard répond sans la moindre affèterie que, dès son arrivée à Paris, après la guerre, il dut s'asseoir sur ses ambitions littéraires déjà bien affirmées à Lyon, sa ville presque natale et se livrer à une débauche de prose commerciale dont est née l'irrépressible figure du flic le plus célèbre du polar français. Mais la modestie du propos ne dissimulerait-elle pas l'amertume longtemps apaisée d'un débutant plutôt doué dont les romans comme le Crève ou les pièces de théâtre avaient séduit la critique? Fruit d'une rencontre avec une éditeur, Armand de Caro, le fondateur du Fleuve noir, la saga prolifique jaillie dans un fracas d'invention verbale qualifiée joliment de «verbotisme» par Jean Cocteau, un fan de la première heure, a traversé les décennies, réduisant peu à peu mais sans jamais la tuer la noire inspiration du Dard originel. Car notre auteur n'a jamais renoncé tout à fait , entre deux séries de pirouettes langagières, à nous donner le vertige à travers les pages de romans tonitruants et amers, parfois coupants comme des rasoirs, poussant le masochisme (ou le pied de nez?) jusqu'à signer les plus récents de son nom de saltimbanque. La preuve en est dans ce recueil d'aphorismes baptisé les Pensées de San Antonio, mais que Frédéric Dard publie sous son nom, comme par défi, où se conjuguent avec hardiesse l'envie de faire rire et celle de fa