Quand John Reed embarque de New York vers Salonique, au printemps
1915, il porte des pantalons de golf, une cravate Harvard et des molletières qui intrigueront nombre de ses interlocuteurs de rencontre, en particulier des Cosaques «à demi sauvages" hauts bonnets de fourrure, longs caftans rose pâle, bleus ou verts, cartouchières croisées, yatagans courbes damasquinés d'or et d'argent, poignards incrustés de pierres précieuses brutes et bottes à la pointe relevée"» qui le garderont prisonnier un temps du côté de Cholm.
A l'époque où il écrit la Guerre dans les Balkans, il n'a pas 28 ans mais il est déjà célèbre aux Etats-Unis grâce à ses articles et à un livre, le Mexique insurgé, qui scandalise l'establishment pour ses sympathies à l'égard de Pancho Villa; grâce aussi à ses frasques militantes révolutionnaires. Emballé par l'atmosphère d'une grève des ouvriers du textile qu'il avait «couverte» deux ans plus tôt, il était devenu le chantre, parfois le tribun, subversif, de l'intelligentsia du Village à New York, admiré ou dénigré.
En Europe, il n'est pas connu, sauf de l'administration militaire. Une énorme bourde déontologique commise lors d'un précédent reportage derrière les lignes de front allemandes (par curiosité, il accepta de tirer un coup de fusil dans une tranchée, incident relaté par un confrère) lui vaut d'être persona non grata. Pour cela, et parce qu'il se sent las de cette vieille Europe («"J'en arrive à détester l'Europe" Cependant, je suis sûr que l'Est sera dif