Un exilé qui trouve des charmes à sa condition, un chevalier de
l'universel qui ne dédaigne pas de se battre pour des droits particuliers, et, surtout, un amateur qui ne se lasse jamais de jouer son rôle, telle est l'image de l'intellectuel que dessine Edward W. Said: «Qu'il s'agisse, en effet, de parler, d'écrire, d'enseigner ou de s'exprimer à la télévision, sa vocation réside, à mes yeux, et c'est le propos de ma thèse, dans l'art de la représentation.» En ce sens, Des intellectuels et du Pouvoir relève en quelque sorte des travaux pratiques, parce que ce livre est issu des célèbres conférences Reith de la BBC, que Said a assurées pour l'année 1993, et dont le titre était, justement, «Représentations de l'intellectuel».
Par-delà son conservatisme et son radicalisme «invivable», la conception de l'intellectuel que se faisait Julien Benda, reste aux yeux de Edward Said «séduisante et forte». Même si les intellectuels d'aujourd'hui parlent moins de l'«universel» par trop abstrait de l'auteur de la Trahison des clercs, et se définissent davantage en fonction de «leurs appartenances nationales, religieuses et même continentales qui appellent pour chacune d'entre elles un traitement à part». Néanmoins, et en dépit de toutes les différences, l'intellectuel peut encore agir au-delà des particularismes. Il se gardera de tout nationalisme, et d'abord de celui, insidieux, de la langue. Aucun intellectuel n'écrivant en espéranto, la langue nationale devient son instrument et son refuge