En 1939, le Journal d‘André Gide était le premier texte d’un auteur vivant à entrer dans la Bibliothèque de la Pléiade. Cette publication s’accompagna de quelques «retouches», qui portaient sur la vie privée ou les allusions trop personnelles. L’édition intégrale qu’Eric Marty a reconstituée (et éclairé d’un très riche appareil critique) permet de montrer que chacun des passages inédits, aussi anecdotique qu’il paraisse, a sa place. C’est déjà le cas pour le Journal des années 1887 1890, où l’on découvre un Gide en gestation, rêvant de gloire littéraire, taquinant la muse, cultivant des chimères amoureuse…. Il faut attendre de longues années pour que la pensé s‘affermisse, que le Journal s’affirme comme uneœuvree à part entièr e; trouvant sa cohérence dans l’incohérence, dans l’alternance de ressassement et de contradictions, dans l’autonomie revendiquée de chaque fragment.
Il n’y a rien de très sulfureux dans les pages inédites où Gide narre ses frasques amoureuses. Elles ont la saveur d’instants pris sur le vif, où l’objet du désir importe moins que le désir lui-même. C’est dans cet esprit que Gide évoque ses déambulations sur une plage normande, en compagnie de Ghéon, d’un petit marin, sa rencontre dans un train avec un jeune Allemand, son immersion dans les bas-fonds de Biskr…. Et le Journal tout entier ne vise qu’à relayer et amplifier ces moments de grâce, par quoi l’écrivain peut échapper aux contraintes. On y voit cohabiter des identités diverses,