Menu
Libération
Critique

Marché noir

Article réservé aux abonnés
Du XVIIIe siècle à l'orée de la guerre de 14, une histoire des milieux négriers, davantage tenants de l'Ancien Régime que précurseurs du capitalisme moderne.
publié le 5 décembre 1996 à 3h01

Si l'on connaissait assez bien l'histoire de la traite, celle des

négriers demeurait en revanche plus obscure, sorte de «repli frileux de la mémoire» selon l'expression d'Alain Croix. Dans certaines localités comme Nantes, capitale française de «l'infâme trafic», la frilosité confinait au tabou. C'est ce milieu réputé impénétrable qu'Olivier Pétré-Grenouilleau, fort de sources inédites émanant des familles d'armateurs ou de journaux personnels comme celui du négrier Joseph Mosneron, s'est attaché à cerner, des années 1750 à la veille de 1914.

Croisant approches prosopographique et généalogique, son étude est d'abord la patiente reconstitution d'une «élite» négociante dont elle restitue origines, itinéraires et stratégies. On entre ainsi dans l'intimité d'un patriciat composite, hiérarchisé à l'extrême, dans lequel prévalent les relations de lignage ou de clientèle. Peu touché par les Lumières, leur univers culturel oscille entre les valeurs patrimoniales du modèle mercantile (accumuler et transmettre) et l'horizon nobiliaire. Passé la Révolution, ils seront les premiers nostalgiques d'un Ancien Régime idéalisé et verseront dans le plus pur légitimisme, réactionnaire et catholique. S'il ne parvient à brider ni leur soif de réussite, ni leur dynamique sociale, ce puissant conservatisme (dans lequel l'auteur lit la persistance des mécanismes de reproduction culturelle et sociale d'Ancien Régime) fut cependant un frein qui les condamna à une sorte d'«évolution par épuisement progr