D'où nous est venue cette évidence naïve selon laquelle toutes les
«choses» qui nous entourent quotidiennement et qui forment le tout de notre «monde sensible», seraient inévitablement contraires à nos plans éthiques ou stratégiques, à notre conception du bien et du beau? Le «monde sensible», comme l'appelaient Platon et Aristote, nous est étranger, pour ne pas dire hostile. Il obéit à des lois qui lui sont propres, et ces lois semblent destinées à contrarier notre volonté. Dans le Traité de l'efficacité, François Jullien observe ce trait particulier à l'Occident, le caractère fondamentalement conflictuel du rapport entre la subjectivité et la nature: notre éthique fait l'apologie d'un «héroïsme». nécessaire à une vie «réussie»; nos stratèges, de Machiavel à Clausewitz, subordonnent la victoire à une maîtrise «mécanique» des armes et des positions géographiques; l'esthétique elle-même est soumise à ce principe commun, d'inspiration platonicienne, qui exige en somme de suivre un «modèle» préétabli et transcendant si l'on veut parvenir à ses fins. Notre théologie vient coiffer cette habitude de pensée, puisqu'elle suggère l'existence d'une réalité dont les qualités sont jugées à la fois radicalement supérieures aux qualités du monde créé, et elles seules proprement «exemplaires».
En outre, pourquoi croyons-nous que ce monde matériel est fondamentalement «statique», et que quand il ne l'est pas, son mouvement «naturel» et«spontané» ne concerne que lui? Notre morale condamne la te