Menu
Libération
Critique

On n'arrête pas le progrès.

Article réservé aux abonnés
Dans les travaux historiques de Pierre Duhem (1861-1916), on trouve sans doute la première exploration systématique de la science médiévale.
publié le 24 avril 1997 à 0h26
(mis à jour le 24 avril 1997 à 0h26)

Qu'est-ce qu'un physicien, spécialiste en thermodynamique, ami de Ernst Mach, inspirateur d'Ilya Prigogine, peut-il bien chercher dans les bulles papales et la théologie du Moyen Age? Sous le ciel occidental, au XIVe siècle, les théologiens, savants et philosophes baignent en effet dans la scolastique aristotélicienne. Mais c'est un aristotélisme déjà bien rodé, trop bien. Ce n'est pas seulement un siècle, c'est un monde qui sépare les théologiens Thomas d'Aquin (1225-74), et Nicole Oresme (1325-82). On ne se contente plus d'«assimiler» la Métaphysique d'Aristote, on formule avec audace des théories qui s'écartent de l'enseignement canonique. A l'origine de ce changement, le décret promulgué en 1277 par Etienne Tempier, évêque de Paris, qui réunit un Conseil à la requête du pape Jean XXI, afin de réaffirmer «la toute-puissance divine», en faisant échec aux velléités philosophiques païennes qui se manifestaient dans les cercles universitaires. Le décret de Tempier, qui ne forme aucun ensemble doctrinal réel, se présente comme une longue série d'interdictions, deux cent dix-neuf exactement. Celles-ci produisent un effet contraire au but recherché. Elles génèrent des théories scientifiques nouvelles sur les thèmes qu'elles pointent du doigt, en particulier «l'infini», «le lieu», «le mouvement», «le temps» ou encore «le vide».

C'est du moins ce que découvre Pierre Duhem (1861-1916), à l'aube de notre siècle en lisant l'oeuvre de l'un de ces savants médiévaux, Jordanus de Nemore