Anna Maria Ortese est une «présence» des lettres italiennes, au sens

d'un fantôme, d'un esprit dont elle-même serait la première à mettre en doute l'existence. Il y a bien les romans, récits, poésies que l'éditeur Adelphi continue à publier, mais ce n'est pas une preuve que cette femme de 83 ans, retirée depuis une vingtaine d'années à Rapallo, près de Gênes, soit encore de ce monde. Si elle vit encore, c'est justement pour créer d'autres mondes, plus beaux, plus purs, plus généreux, que celui qui lui est échu. Car Anna Maria Ortese est une revenante. Reporter célèbre, elle avait quitté les journaux pour «écrire». Depuis un premier roman très bien accueilli, que de désillusions! La misère et le désespoir, et des troubles mentaux que seule l'écriture apaise et tient en respect. Née à en Libye, Anna Maria Ortese vit une enfance et une adolescence pauvrissimes dans les faubourgs misérables de Rome et de Naples. Autodidacte, elle n'a jamais oublié les appartements d'une seule pièce, humides et sans lumière, où, dévorée par le désir de s'en sortir, elle lisait, oreilles et tête enserrées dans une serviette pour moins entendre les cris ininterrompus de la famille et les bruits assourdissants de la rue. L'écriture donc a été son salut et sa vie. Elle le reste.

Paru en 1993, la Douleur du chardonneret a rencontré un grand succès. Anna Maria Ortese sortait soudainement de l'ombre ­ non sans souffrance. La solitude, voire l'isolement, avait comme assagi sa rage mais non pas adouci son