Le don de l'Utopie, propre aux Anglais, a pris au fil des siècles
des formes et des couleurs apparemment diverses pour surprendre les lecteurs, plutôt blasés, de ces visions du monde à venir. En vérité, il s'est toujours allié aux genres à la mode, les transcendant avec ruse afin de mieux surprendre et dérouter. Faussement moraliste au XVIIIe siècle, exagérément romanesque au siècle suivant, l'auteur utopiste est devenu aujourd'hui une sorte d'auteur de science-fiction au deuxième degré. C'est le cas de Jeff Noon, dont le premier roman, Vurt, paru en 1993, a aussitôt fait sensation. Noon avait en effet tout pour plaire à un public marginal et amplement de quoi gêner le politiquement correct littéraire. Vurt a pour cadre Manchester, sa ville natale où son livre a d'ailleurs été publié par une petite maison d'édition née de la passion d'anciens vendeurs en librairie , et met en scène une bande de jeunes déviants qui se sont baptisés les Camés.
Une fois la couleur annoncée, ces cousins pas si lointains des «anarchistes» des romans de Chesterton nous entraînent à travers les faubourgs mouvants de leur ville onirique où les repères se noient dans un flot sémantique absolument original. Noon mêle avec une aisance déconcertante la terminologie codée du monde de la drogue à un autre langage, plus personnel. Les Camés se déplacent dans un monde virtuel où les policiers sont moitié hommes, moitié chiens ce qui ne surprendra pas tellement les fans de William Burroughs et où le po