Jamais diplomatie ne fut plus expérimentée, plus au fait des
affaires des nations, plus universellement appréciée, imitée, sollicitée par les autres chancelleries que celle de la république de Venise. Jamais aussi diplomatie ne fut moins clairvoyante, plus impuissante à conjurer la longue crise, et, finalement, la chute de sa propre cité. Ainsi, pendant que Bonaparte se livre, en1797, à manoeuvres et saccages de tous ordres dans la toute proche campagne, le doge et le Sénat sont à mille lieues d'imaginer qu'est en train de s'achever l'histoire millénaire de la Sérénissime. Prise le 12 mai, Venise sera cédée à l'Autriche le 17 octobre 1797. Pourtant le Sénat et le doge étaient parfaitement informés, comme le montre la publication des 470 dépêches envoyées par les deux ambassadeurs de Venise en France entre 1786 et 1795. Entièrement inédit en français, ce corpus est précieux pour comprendre la place centrale de Versailles dans l'équilibre entre puissances (rôle dans lequel elle a succédé à Venise!) et le désarroi des gens de l'art diplomatique après l'effondrement de ce système bien ordonné.
L'ambassadeur de Venise est tenu d'envoyer une dépêche hebdomadaire. Un modèle du genre, avec son cahier de charges très précis: la politique étrangère, le budget, les richesses de la nation, le commerce extérieur, mais aussi le roi, la famille royale, les hommes bien en cour, les ministres, les intrigues, les ragots... Il y parle de tout et de rien, car le «Sérénissime prince» et l'«Excelle