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Libération
Critique

Belfast la décharge magique. L'un est catholique, l'autre protestant, ils sont amis et n'appartiennent à aucun camp. Un hymne à une ville en fureur, par Robert McLiam Wilson. Robert McLiam Wilson. Eureka Street. Traduit de l'anglais par Brice Matthieussent, Christian Bourgois éditeur, 545 pp., 150 F. De Derry à Belfast, avec un détour par l e Sud, un voyage en Irlande entre folie, guerres, fantômes, misère, et retour en enfance.

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publié le 11 septembre 1997 à 9h17

Jake Jackson et Chuckie Lurgan sont deux vieux copains d'enfance.

Eclusant les mêmes bars, draguant les mêmes filles, poursuivant les mêmes interminables discussions, ils ont traîné leur jeunesse morose et boit-sans-soif dans un même quartier de Belfast: le premier habite Poetry Street, une avenue plus bourgeoise qu'Eureka Street, rue minable où végète le second. A l'approche de la trentaine, tous deux décident de changer de vie. Après des débuts chaotiques d'«enfant-loup», Jake Jackson, qui a un peu étudié les sciences politiques et vendu ses poings au meilleur offrant, abandonne son emploi d'homme de main ­ sa besogne consiste à récupérer chez les particuliers de «Misère-ville», et au besoin par la force, les marchandises impayées ­, préférant porter des briques plus inoffensives sur les chantiers. Chuckie Lurgan, lui, est bien résolu à devenir riche: et malgré son aspect pataud et ingrat de vieux garçon vivant chez sa mère, il fourmille d'idées extravagantes et entame une fulgurante carrière d'homme d'affaires.

Jake Jackson est catholique et Chuckie Lurgan protestant: un détail si l'histoire ne se déroulait à Belfast, dévasté par des décennies de guerre civile entre les deux confessions. Les deux amis en ont d'autant moins cure qu'ils n'appartiennent à aucun camp, refusant même de choisir: pour l'un comme pour l'autre, la guerre est hideuse, sans héros, absurde, réduite à un «champ de bataille» entre deux factions censées s'opposer sur tout mais finalement pareilles à deux