L'intellectuel français est une espèce rare, précieusement cultivée
par nos historiens. Pratiquement pas d'année sans ouvrage, analytique, monographique ou polémique, sur le sujet. Déjà codirecteur l'an dernier avec Jacques Julliard d'un discutable Dictionnaire des intellectuels, Michel Winock récidive cet automne avec le Siècle des intellectuels, un pavé de 700 pages qui ne se veut pas une histoire des idées mais le tableau d'un siècle d'affrontements politiques entre écrivains, philosophes, artistes et scientifiques. Dominant cette guerre de cent ans franco-française, trois figures, Maurice Barrès, André Gide et Jean-Paul Sartre, autour desquelles sont organisées les trois grandes parties de ce panorama.
S'ouvrant, fin 1897, sur la visite de Léon Blum à Maurice Barrès pour lui demander de s'engager pour la révision du procès du capitaine Dreyfus, le récit mené au pas de charge par Michel Winock s'achève par la mort de Sartre en 1980 et l'arrivée de la gauche au pouvoir l'année suivante. Double paradoxe inaugural et final, emblématique des confusions et des renversements de valeurs qui marquent cette histoire mouvementée: d'un côté, la visite du futur leader du Front populaire et de l'internationalisme à celui qu'il considère alors comme un guide et qui deviendra un des piliers idéologiques de l'antidreyfusisme et du nationalisme; de l'autre, symbolisée par la disparition de Sartre, la mort du gauchisme et la crise de l'engagement au moment même où la gauche socialo-communis