«Aborder l'histoire du socialisme français par le biais d'une
histoire intellectuelle sans l'intégrer à l'histoire du mouvement ouvrier offre l'occasion de souligner sa spécificité», écrit Christophe Prochasson dans l'introduction de l'essai qu'il vient de consacrer aux relations unissant les intellectuels et le socialisme. Car s'il s'attache à clarifier la nature de l'engagement des intellectuels socialistes, s'il ne rechigne pas non plus à suggérer quelques pistes pour «refonder» aujourd'hui ces rapports presque biséculaires, son livre est d'abord un livre d'histoire qui entend rappeler que le socialisme n'est pas né en France comme une affaire politique, mais qu'«il s'est construit dans un monde de savants désireux d'articuler des propositions scientifiques sur le social».
D'emblée, souligne-t-il, le socialisme fut pensé comme «un projet culturel et scientifique». A l'image de Saint-Simon, mais aussi de Leroux, de Fourier ou de Godin, ses premiers théoriciens furent d'abord des «savants», qui aspiraient à créer une science capable de comprendre et de maîtriser les dysfonctionnements nés des bouleversements économiques, puis de fonder en justice les hiérarchies sociales. Aux antipodes de l'utopie, leur socialisme se présentait comme «le produit d'une démarche intellectuelle», et la dimension «scientifique» fut constitutive de leur démarche. La rencontre avec «la classe la plus pauvre», qui s'opéra à partir des années 1830-1848, ne modifia guère la donne. Pour Durkheim par e