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Libération

D'île en exil.

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De sa naissance en Martinique en 1928 à ses récentes pérégrinations franco-américaines, retour sur le parcours d'Edouard Glissant, où l'on croise Leiris, Lévi-Strauss, Saint-John Perse et Frantz Fanon.
publié le 16 octobre 1997 à 9h58

Edouard Glissant explique dans Traité du Tout-Monde comment il ne porte son nom ­ Glissant ­ que depuis l'âge de 9 ans, quand son père le «reconnut» officiellement. Jusque-là, il portait le nom de sa mère et ceux que lui donnait le voisinage. «Nous couvons en nous l'instinct de l'illégitime, qui est ici aux Antilles une dérivée de la famille étendue à l'Africaine», écrit-il, ajoutant, à propos de cette incertitude, qu'il supposa «naguère que le nom de Glissant, sans doute octroyé comme la plupart des patronymes antillais, était l'envers insolent d'un nom de colon, Senglis par conséquent. L'envers des noms signifie.» Sur cette incertitude du nom, ou sur sa multiplicité, il écrit encore: «Les noms errent en nous, peut-être aussi en gardons-nous une foule en réserve, un pour laplaine, un pour l'archipel, un pour la trace ou un pour le désert. La ronde des noms s'accorde au défilé des paysages. On les dévale ou en suit lentement le cours.»

Né le 21 septembre 1928 à Bezeaudin, un «morne» martiniquais sur les hauteurs de Sainte-Marie, Edouard Glissant a grandi au Lamentin, la zone économique la plus importante de l'île. Son père est «géreur» de plusieurs plantations, dirigeant les équipes de coupeurs de canne et d'ouvriers agricoles. Le jeune Edouard l'accompagne souvent surtout pendant les vacances et découvre l'univers des «habitations», comme on appelle alors les plantations: les propriétaires békés, avec qui il n'y a aucun contact, les escapades dans les champs de canne, la pêc