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Interview

Si c'est un enfant... Auschwitz irrationnel?

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Pas du tout, répond le Hongrois Imre Kertész pour avoir traversé l'horreur à l'âge de quinze ans. Entretien autour de la traduction de «Etre sans destin».
publié le 15 janvier 1998 à 16h11

Etre sans destin est un livre qui s'enfonce dans le temps. Un jeune garçon, juif, ainsi que son étoile jaune le lui signifie, dit adieu à son père, envoyé dans un camp de travail. Puis vient son tour. Il garde constamment le même regard, une sorte de curiosité distante et candide qui lui fait décrire l'expérience concentrationnaire comme une suite d'enchaînements inexorables, presque naturels. A Auschwitz, brièvement, à Zeitz, près de Buchenwald, il s'épuise, se dégrade. Chaque fois descendant d'un cran, d'un pas, dans l'atrocité. Au début, il ne sait rien, c'est un gosse qui a plutôt envie de voir du pays et d'apprendre la vie. Après, sachant tout de l'organisation de la mort, de l'extermination, il enregistre les moments, répits, souffrances. «On peut même s'habituer aux miracles», à un lit d'hôpital, par exemple, qui succède à la charrette des cadavres. Cette lente analyse de l'avancée du temps, sa reconstitution, hypnotise la lecture, si bien que le lecteur, à son tour, est déstabilisé dans sa propre temporalité.

A la fin du roman, le narrateur est de retour à Budapest. Il a 16 ans. Il a été absent un an, et son itinéraire est celui de l'auteur, Imre Kertész, né en 1929, déporté à 15 ans en 1944. Comment peut-on lui parler d'oublier, de commencer une nouvelle vie? Compte-t-il pour rien dans ce qu'il a traversé? Pourquoi emploie-t-on, sinon par commodité, l'expression «l'enfer des camps»? L'enfer, c'est inimaginable, «je pouvais en tout cas m'imaginer un camp