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Critique

Retiens l'ennui. Cafard, saudade, acédie, fatigue, langueur ou neurasthénie, on le fuit, l'ennui, on le trompe, mais toujours il nous rattrape .Un ouvrage collectif dirigé par Didier Nordon. Didier Nordon (sous la direction de), L'Ennui. Féconde mélancolie. Collection «Mutations», n° 175, janvier 1998, Editions Autrement, 206 pp., 120 F.

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publié le 29 janvier 1998 à 17h13

«Il était une fois, dans la ville de Tachkent, un valet au service

d'un riche marchand.» Un matin, le valet se rend au marché et voit l'ange de la Mort, qui lui fait un signe. Affolé, il retourne chez son maître et le supplie de l'aider. «Je veux fuir Tachkent. Je veux ce soir être dans la lointaine Samarcande.» Le marchand lui cède son cheval le plus rapide. Le lendemain, il rencontre lui aussi l'ange de la Mort. «Pourquoi as-tu menacé mon valet?» ­ «Menacé? Ce n'était pas un signe de menace, mais d'étonnement. Je ne m'attendais pas à voir ton valet ici, à Tachkent, parce que j'ai rendez-vous ce soir avec lui à Samarcande.»

De cet ange, l'Ennui est assurément jumeau. On le fuit de la même manière, on le trompe parfois, mais toujours il finit par vous prendre. Comme son frère, il a des traits ambigus: tantôt ils sont de cafard, de fatigue, ou de douce langueur, et tantôt d'acédie, de saudade ou de neurasthénie. Et, à l'instar de la mort, du soleil ou de la nuit, il ne se laisse jamais «regarder en face», parce qu'il est partout, vient d'on ne sait où, sans cause ni raison, impalpable et évanescent, mal de rien, mal de vivre, réduit à presque rien s'il est désoeuvrement, trop pesant, accablant si, pluriel, il se fait tracas et emmerdements. Aussi est-il difficile, à Samarcande ou ailleurs, de donner rendez-vous à l'ennui. Quand on l'attend, il ne vient pas, quand il est là il ne dit mot et fait «mourir».

D'un ouvrage collectif sur l'Ennui, telle cette livraison d'Autrement di