Pourquoi la perception de Vigny et de Flaubert est-elle aujourd'hui
si différente? Pourquoi l'auteur de l'Education sentimentale est-il considéré comme un parangon de modernité alors que celui des Destinées et de Servitude et grandeur militaires est souvent vu comme l'écrivain le plus démodé du dix-neuvième siècle (pire même que Lamartine), au point que le bicentenaire de sa naissance fut à peine célébré l'an dernier? Leurs philosophies littéraires ne se ressemblent-elles pas? Leurs correspondances donnent un élément de réponse. Pour Vigny, né en 1797 et mort en 1863, l'édition de ses lettres va maintenant jusqu'à 1843. Pour Flaubert, né en 1821 et mort en 1880, elle arrive jusqu'à fin 1875.
«On était tenté de lui en vouloir par moments de cet excès de conscience et de l'invariable obstination qu'il mettait, en toute rencontre, à maintenir son opinion et son idée, même lorsqu'il était seul contre tous, ce qui lui arrivait quelquefois.» De qui Sainte-Beuve, qui fut l'ami sournois de l'un et de l'autre, parle-t-il ici? Car la posture littéraire de Vigny et Flaubert, à quelques années de distance, fut la même: «seul contre tous» parut leur devise. Vigny au Maine-Giraud, Flaubert à Croisset (voir ci-contre) s'isolèrent pour mieux prendre leurs distances envers la masse. Dans une lettre de 1839 au prince Maximilien-Joseph de Bavière, Vigny reproche à certains poètes «d'avoir suivi la multitude toujours médiocre au lieu de lutter corps à corps avec elle et de la soumettre». En 1872