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Libération
Essai

Viol à l'étalage

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De la tolérance ouverte à la condamnation générale, le viol est devenu en quatre siècles un crime gravissime, voire le mal absolu.
publié le 29 janvier 1998 à 17h13

On sait, depuis Norbert Elias, que notre modernité a émergé d'un lent travail de polissage de la violence, de ce «procès de civilisation» qui a fini par enserrer l'agressivité diffuse autant dans les règles et interdictions de la loi que dans l'autocontrainte de la conscience personnelle. On sait aussi, après Michel Foucault, que l'intériorisation de la norme, loin d'entraver le désir, lui donne un sujet dont une nouvelle «volonté de savoir» a fait désormais son objet d'étude privilégié. Georges Vigarello le sait bien qui place son Histoire du viol à la croisée de la démarche sociologique d'Elias et généalogique de Foucault pour illustrer le lien existant entre le gouvernement de la violence et «l'insensible naissance d'une vision du sujet et de son intimité». C'est l'histoire d'un renversement mais aussi de la création de nouvelles valeurs: en quatre siècles, le viol passe d'une tolérance ouverte, à une condamnation générale, du statut de délit mineur à celui de crime gravissime, voire, dans le cas de viol d'enfant, de mal absolu.

Sous l'Ancien Régime, le viol est une violence comme les autres. Cette société est d'autant plus prête à l'excuser, voire à le pardonner, qu'elle accorde une légitimité à la brutalité physique, comme à une sorte d'expression irréductible de la nature humaine. Quand il y a condamnation, c'est moins en considération de l'acte que du statut social de la victime. Si l'on est pauvre, il vaut mieux ne pas agresser nobles ou autres bourgeois (le sexe ou l