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Interview

Dagognet «Il n'est rien de jeté qui ne soit humain».

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Dagognet, l'homme qui fait parler les cailloux.
publié le 5 février 1998 à 19h34
Doit-on vous qualifier de philosophe, de médecin ou d'épistémologue?

François Dagognet. Médecin, je ne le suis plus. Et je n'aime guère l'épistémologie, du moins celle que je vois pratiquer aujourd'hui ­ car je mets évidemment à part mes maîtres Gaston Bachelard et Georges Canguilhem. Elle détourne de la philosophie en un sens, et, pour en faire, il faut se plonger pendant des années dans des disciplines extraterritoriales, pour un résultat assez mince. Faite par les philosophes, elle est trop souvent une imposture. Demandez-leur ce qu'est le bore, le cobalt ou l'antimoine!

Vous voulez plutôt promouvoir une «matériologie»?

Ce qui m'intéresse, en effet, c'est la matière. Non pas la matière «en soi», que l'on utilisait comme machine de guerre contre les philosophies «idéalistes», mais la matérialité, les formes, les objets. En fait, j'ai horreur de la profondeur. Si je suis contre l'ontologie traditionnelle, c'est qu'elle a cru trouver l'être dans les profondeurs! Mais c'est là une mystification, et l'asile où vont se réfugier toutes les idéologies crépusculaires. Ce qui me paraît révolutionnaire, c'est la surface, que la philosophie déserte en général. Le mot même de «superficialité» désigne la futilité, le secondaire, l'anodin. Or moi j'essaie d'ennuyer les ontologues en leur montrant que l'essentiel du sens est à la surface, qu'ils n'ont pas besoin de privilégier l'abyssal, d'aller dans le «fond» de l'abîme où, d'ailleurs, tout est noir.

La surface, c'est l'apparence, qu'on dit trompeuse ...

Oui, mais c'est aussi la manifestation de l'être. Elle est trompeuse si on ne la voit pas! Il faut donc apprendre à voir. Et là on retrouve la médecine, parc