L'entreprise de Manuel Castells est insensée. Non pas qu'il soit
forcément déraisonnable pour un sociologue de vouloir donner un sens au monde qu'est en train de façonner la révolution de l'information, et, partant, d'envisager le futur avec un optimisme raisonnable. Assez insensé en revanche peut paraître le souci de prouver empiriquement ce qu'on avance théoriquement, de s'en donner les moyens et, le plus souvent, d'y parvenir! D'où une certaine démesure de la Société en réseaux, ses centaines de pages, les dizaines de graphiques, ses trois tomes (dont le premier paraît en français). Le périple est en effet encyclopédique, par l'exploration des disciplines constituées, par les coups de sonde sur les savoirs émergents, l'analyse des données macro-économiques comme dans la synthèse des études qualitatives les plus fines. Consciencieux, Manuel Castells a voulu tout apprendre; généreux, il veut tout faire savoir. Bon prince, il paie ses dettes: au chirurgien qui lui a permis de revenir à ses fiches et d'achever son oeuvre ou à l'ouvrier anarchiste espagnol qui l'a hébergé à Belleville en 1962, quand, à 20 ans, exilé politique, il était venu chercher en France l'avenir que l'Espagne de Franco lui refusait. Après son doctorat à Paris, il a enseigné dix ans à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et publié son premier livre, Luttes urbaines (La Découverte, 1 975). Sociologue de la ville hispano-franco-américain de renommée mondiale, Castells enseigne depuis 1979 à Berkele