La formule s'annonce dès la quatrième page de couverture, «Elle ne lira pas ces lignes, notre miraculée des bombardements», elle ouvre le roman, «Elle ne lira pas ces lignes, la petite silhouette ombreuse», puis dans le fond de cette première page: «Elle ne lira pas ces lignes, notre enragée de mort et de chagrin», et plus loin page 113, après la faille du mitan du livre: «Elle ne lira pas ces lignes, la petite silhouette opiniâtre qui courait après le temps perdu», et encore une fois vers la fin du volume, bref, elle ne lira pas ces lignes. Ce n'est certes pas la première fois que Jean Rouaud écrit l'histoire de gens qui ne pourront pas le lire. Des morts. Son premier roman Les Champs d'honneur, qui reçut le Prix Goncourt en 1990, disait les morts de la grande guerre, un grand-père, pour mieux cacher la mort d'un père, le sien, un vilain jour de lendemain de Noël, en 1963, quand il avait 11 ans, Jean Rouaud. Et l'autre livre, Des hommes illustres, qui acceptait de recevoir cette mort de plein fouet, ou presque, atténué par l'art des conjugaisons, comme si, en jouant sur les personnes, il pouvait espérer qu'il s'agisse de quelqu'un d'autre, puisque la langue française permet cela, de dire «votre père» pour parler du sien. Il doit le préciser parce que cette mort n'est pas un drame, pas une mort violente comme cette mort plus forte que la force de l'âge d'un colosse paternel, plus forte que ces poilus conscrits de 20 ans, armés jusqu'aux dents, gazés jusqu'à
Critique
Orphelin de la veuve
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publié le 26 février 1998 à 19h00
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