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Libération

Le libraire- arbitre

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Face aux grandes surfaces et à la crise des ventes, la nouvelle génération des libraires redouble d'ingéniosité et d'activisme. Affichettes, cassettes vidéo, création de réseaux... les mille et un filons de plus en plus spectaculaires d'un métier qui marie culture et commerce. Enquête. Pour ne pas «mourir d'office», asphyxiés par le flux éditorial (29220 nouveautés en 1997), les libraires indépendants doivent sélectionner de façon drastique.
publié le 12 mars 1998 à 22h41

La vitrine de la «Griffe noire», à Saint-Maur-des-Fossés, hésite

entre farces et attrapes et librairie de quartier. Deux exemplaires de la Bataille de Patrick Rambaud flottent dans un aquarium, avec cet avis bien trempé: «Un Goncourt plus léger que l'eau...» Dans un bocal, marine une cervelle: «Eux, ils ont la momie de Lénine, nous, on a le cerveau de Françoise Giroud, écrivain français en réanimation.» Dans une poubelle où musardent des rats en plastique, un roman d'Isabelle Juppé: «Ce n'est pas un livre, c'est un trou noir!» Ici on descend ou on glorifie les livres pour mieux les vendre. Mais les sentences de potache qui tuent: «Post-Parkinson, pré- Alzheimer!»... «Pas de la littérature, de la gériatrie!» côtoient davantage de dithyrambes. «Fabuleux!»... «Éblouissant!»... «Géant!»... Dix ans que Gérard Collard passe du vitriol à l'encensoir, dans l'esprit de ses maîtres en irrespect: Frédéric Dard, Pierre Desproges et Pierre Dac. «Les librairies ressemblent trop souvent à la crypte du Panthéon ou à un salon du XVIIIe siècle. Ici, on déculpabilise les gens. C'est le souk. La vie!» Et ça marche. La librairie de Saint-Maur-des-Fossés, qui vient d'ouvrir une antenne à Bry-sur-Marne, régale d'inconditionnels lecteurs . «On se fait engueuler quand on ouvre avec cinq minutes de retard.» La Griffe noire contredit surtout l'image d'un métier qui ferait des libraires une espèce menacée, maintenue sous tente à oxygène grâce à la loi Lang sur le prix unique du livre. Chaque année voi