La vitrine de la «Griffe noire», à Saint-Maur-des-Fossés, hésite
entre farces et attrapes et librairie de quartier. Deux exemplaires de la Bataille de Patrick Rambaud flottent dans un aquarium, avec cet avis bien trempé: «Un Goncourt plus léger que l'eau...» Dans un bocal, marine une cervelle: «Eux, ils ont la momie de Lénine, nous, on a le cerveau de Françoise Giroud, écrivain français en réanimation.» Dans une poubelle où musardent des rats en plastique, un roman d'Isabelle Juppé: «Ce n'est pas un livre, c'est un trou noir!» Ici on descend ou on glorifie les livres pour mieux les vendre. Mais les sentences de potache qui tuent: «Post-Parkinson, pré- Alzheimer!»... «Pas de la littérature, de la gériatrie!» côtoient davantage de dithyrambes. «Fabuleux!»... «Éblouissant!»... «Géant!»... Dix ans que Gérard Collard passe du vitriol à l'encensoir, dans l'esprit de ses maîtres en irrespect: Frédéric Dard, Pierre Desproges et Pierre Dac. «Les librairies ressemblent trop souvent à la crypte du Panthéon ou à un salon du XVIIIe siècle. Ici, on déculpabilise les gens. C'est le souk. La vie!» Et ça marche. La librairie de Saint-Maur-des-Fossés, qui vient d'ouvrir une antenne à Bry-sur-Marne, régale d'inconditionnels lecteurs . «On se fait engueuler quand on ouvre avec cinq minutes de retard.» La Griffe noire contredit surtout l'image d'un métier qui ferait des libraires une espèce menacée, maintenue sous tente à oxygène grâce à la loi Lang sur le prix unique du livre. Chaque année voi