Art Spiegelman a trente-neuf ans. Pas très grand, le front dégarni, une petite tête rentrée dans les épaules, il a l'oeil enfantin et le sourire craintif des enfants et des vieillards. Il inspire une sympathie immédiate. A New York, où ses parents se sont installés en 1950, Spiegelman exerce plusieurs activités, toutes liées au dessin : il édite à ses frais, depuis 1980, Raw, un magazine de graphisme et de bandes dessinées, et donne des cours de bande dessinée à la New York School of Visual Arts. Il est connu depuis longtemps dans le milieu de l'illustration d'avant-garde : ses planches ont été recueillies en 1977 dans un album intitulé Breakdowns. Il a beaucoup oeuvré pour diffuser auprès des initiés le graphisme européen de Swarte ou, plus récemment, de Pascal Doury. Mais, depuis 1980, il élabore lentement un récit à la première personne, Maus, où il a choisi de raconter l'histoire qui lui tient le plus à coeur : celle de sa famille, des Juifs polonais rescapés d'Auschwitz. A raison de vingt planches par an, publiées au fur et à mesure en fascicules dans Raw, Art Spielgelman a pu réunir, l'an dernier, un petit livre dessiné qui a connu aux Etats-Unis un succès immense.
L'histoire racontée dans Maus commence au milieu des années 20 dans une petite ville de Pologne près de la frontière allemande ; elle se termine abruptement en 1944, à Auschwitz. Spiegelman souhaitait mener le récit à son terme, situé de nos jours, avant d'en faire un livre. Mais les circonstances en ont déci