Ophiloi, oudeis philos.» Il n'est même pas sûr que ce soit une phrase d'Aristote. Mais elle traversera l'Histoire, et la philosophie, et l'histoire littéraire. Montaigne, entre mille autres, la reprendra : «O mes amis, il n'y a nul amy.» Ne s'agit-il pas, pourtant, d'une sentence extravagante, d'une formule tournée de telle sorte qu'elle soit indécidable ? A quels amis peut-on annoncer qu'il n'y a pas d'amis ? Et s'adresse-t-on encore à des amis pour leur apporter une nouvelle aussi sombre que celle de leur propre disparition ou de leur inexistence ? Sont-ce de faux amis à qui l'on veut faire comprendre qu'il n'est point un seul ami véritable ? Ou faut-il, dans cette «contradiction performative», comme diraient les linguistes, lire l'expression d'un désir, d'une requête, d'une promesse, d'une prière : il n'y a pas d'amis, nous le savons bien, mais, je vous en prie, faites, mes amis, qu'il y en ait ! Est-ce à dire que la sagesse se meurt de ne plus avoir d'amis ? Qu'il n'y a de vie mais quelle folie ! que par l'ennemi ? Traces, indices, emblèmes, paradigmes d'une multiséculaire histoire de l'amitié que Jacques Derrida tourne et retourne, déconstruit, détourne et assemble dans son dernier livre, Politiques de l'amitié.
«Il n'est peut-être pas, dans la philosophie contemporaine, d'oeuvre plus difficilement saisissable que celle signée du nom de Jacques Derrida», écrit Rudy Steinmetz (1). Il faut croire cependant que ce «défi» est souvent relevé, puisque Derrida est