Les odeurs, le silence, le vide, les cloches » Vous donnez à vos enquêtes historiques de drôles d’objets, impalpables, ou en tous cas non quantifiable. En partant à présent sur les traces d’un sabotier parfaitement inconnu, qui n’a laissé aucune trace, n’avez vous pas le sentiment de «passer à la limite»?
Je suis assez irrité par la manière dont on fait l'histoire du peuple. Tantôt on s'appuie sur les mémoires de tel compagnon artisan, d'un ouvrier, ou d'un immigrant typique, qui ont tous pris la plume et donc sont sortis du milieu qu'ils décrivent. Tantôt ont parle du peuple comme être collectif, comme «masse». Si bien que, tout compte fait, on n'en sait pas plus sur les cent millions de Français qui ont vécu au siècle dernier que sur la préhistoire! Même les ethnologues, qui sont a priori plus proches de leur sujet d'étude, écrivent dans la masse: ils décrivent la manière dont, dans telle société, «on» fait la cour aux femmes, par exemple, mais le sujet particulier leur échappe. Moi, je suis attaché à une histoire de la singularité, même s'il n'est pas évident que la singularité puisse être objet d'histoire. J'essaie de poser le problème de l'individu, du sujet. Est-ce qu'un individu peut avoir conscience de son propre destin? J'ai tenté de répondre à ces questions en faisant l'histoire d'un inconnu que j'ai choisi au hasard dans les archives d'Alençon et qui n'a été mêlé à rien.
N'est-ce pas un pari impossible?
Risqué, disons. J'avais d'ailleurs pensé appeler mon livre Au ro