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Libération
Critique

La cuisine à l’encre

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Entre les douze commandements d’une recette de seiche farcie, Maryline Desbiolles laisse remonter le fumet de l’âme, la nostalgie et le désir, la douleur et l’amour tu.
publié le 26 mars 1998 à 21h28

La seiche et l’écrivain ont ceci en commun: ils crachent de l’encre. En latin sepia signifie à la fois seiche et encre, et en français le mot évoque une couleur, la nostalgie photogénique. Avant, on ne sait pas, on imagine que ce sepia pouvait avoir un ancêtre grec, sêpesthai, «être pourri», peut-être à cause de la couleur de ses sécrétions. Juste pour dire qu’il n’y a guère d’innocence, et qu’à écrire, comme ça, sur la couverture d’un roman la Seiche, le nom d’un animal assez difficile à apprivoiser, on a choisi son camp, celui de l’animal, bien sûr (il va mourir, il sera mangé), celui de l’encre, de l’écriture, celui des souvenirs, et qu’il y a quelque part quelque chose ou quelqu’un qui pourrit. Et que ce qui pourrit à l’intérieur, vous fait un sang d’encre.

Comme la seiche, le roman de Maryline Desbiolles tient debout grâce à une coquille interne, cet os de seiche que les zoologues disent «en forme de bouclier» (les oiseaux viendront se faire le bec sur son cadavre), le roman se protège de la mollesse par une structure rigide et fonctionnelle comme un os, celle d'une recette de cuisine: la seiche farcie. Les douze commandements, les Tables de la loi de la seiche farcie, en douze chapitres de consignes impératives, de «Nettoyer les seiches en prenant soin de ne pas déchirer les corps», jusqu'à «et laissez mijoter environ trois quarts d'heure». Le reste, entre chaque étape de ces gestes d'ordonnance, c'est le ventre mou de l'âme, la divagation de la nostalgie, le fumet du p