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Libération
Critique

Vivant et les morts. Le futur directeur du musée du Louvre a suivi Bonaparte en Egypte: il en rapporta un étonnant reportage sur la guerre doublé d'une méditation sur l'art et le temps. Dominique Vivant Denon. Voyage dans la Basse et la Haute Egypte. Gallimard, «Le Promeneur», 358pp., 150F.

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publié le 26 mars 1998 à 21h28

Le voyage en Egypte de Dominique Vivant Denon, dans la traîne de

Bonaparte, est celui d'un viveur au pays des morts. Un jour, l'écrivain, dessinateur et futur directeur du musée du Louvre, est face au désert: «Horizon sans bornes, dont l'espace vous oppresse, dont la surface ne vous présente, si elle est unie, qu'une tache pénible à parcourir, où la colline ne vous cache ou ne vous découvre que la décrépitude et la décomposition, où le silence de la non-existence règne seul sur l'immensité. C'est pour cela sans doute que les Turcs vont y placer leurs tombeaux: des tombeaux dans le désert, c'est la mort et le néant.» Chateaubriand n'est pas loin.

Vivant aperçoit alors le général Desaix. Lui aussi est mélancolique: «Mon ami, me dit-il, ceci n'est-il point une erreur de la nature? rien n'y reçoit la vie; tout semble être là pour attrister et épouvanter.» Desaix se demande si ce lieu n'a pas été oublié par la création. Vivant lui répond: «Dans ce désert il y a des vallées, des bois pétrifiés; il y a donc eu des rivières, des forêts: ces dernières auront été détruites; dès lors plus de rosée, plus de brouillards, plus de pluie, plus de rivières, plus rien.» Puis Desaix retourne à ses sabres, Vivant à ses crayons, et le récit reprend, allègre, violent, pur-sang éperonné par les points-virgules.

L'expédition dure un an: de juillet 1798 à août 1799. Vivant a embarqué avec Bonaparte. Il écrit à son amante: «Tu n'avais jamais été aimée en Egypte, et bien c'est peut-être sur les pyramide