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Libération
Critique

Emois et moi

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Dans ses chastes «Lettres à Madame Récamier» Chateaubriand laisse avant tout parler le culte du moi.
publié le 2 avril 1998 à 0h08

La légende de Chateaubriand n'a pas bonne presse - à l'heure où les

biographes ne cessent de traquer le visage derrière le masque, et les petitesses privées au-delà de la sublimation littéraire. Ce n'est certes pas le propos de Jean-Paul Clément: on pourra plutôt lui reprocher d'écrire une biographie ancienne manière, en prenant au pied de la lettre les déclarations flamboyantes de son héros. Mais son livre a le mérite d'exprimer une véritable empathie, qui permet de comprendre les contradictions de l'écrivain mieux qu'une recherche indiscrète, et accompagne de l'intérieur ses désillusions successives. On voit ainsi se dessiner un Chateaubriand donquichottesque, qui contre les vents et marées de la Révolution, de l'Empire ou de la Restauration, n'aura cessé de protéger son château de sable intérieur. Face à Napoléon, il se drape dans un rôle de double maudit. Sous la Restauration, il aura enfin son heure d'influence; mais son renvoi humiliant du cabinet Villèle le rejette à la fois dans une opposition plus royaliste que le roi et dans une défense passionnée de la liberté de la presse. C'est que la pensée politique de Chateaubriand est tissée de paradoxes, qui lui prêtent une ampleur visionnaire mais irréductible à aucun parti: de la petite aristocratie bretonne dont il est issu, il a hérité une fidélité séculaire au trône, à l'autel, à l'honneur; mais aussi une tradition frondeuse, une hostilité à la cour et au pouvoir centralisé, un culte jaloux de la liberté individuelle.