En février 1955, un jeune homme de 25 ans débarque d'Israël sur les
quais de New York, après une traversée agitée: Israël Zamir est bouleversé, car il va retrouver son père, l'écrivain Isaac Bashévis Singer, qu'il n'a pas revu depuis exactement vingt ans. «Avions-nous encore quelque chose en commun après tout ce temps?», s'inquiète le fils, juste avant les retrouvailles. Celles-ci sont étranges: l'écrivain ne manifeste pas beaucoup d'émotion et ne sait bientôt que faire d'un fils encombrant. Rien, dit-il, ne doit se mettre entre ses livres et lui. Cette relation «mal engagée» va pourtant devenir au fil des ans «une amitié solide et pleine de maturité», que le fils décidera de raconter par écrit, «de façon toute personnelle», après la mort de son père en 1991.
Emouvant, le témoignage d'Israël Zamir est aussi sans concession. Tout d'abord, il dresse en creux un étonnant portrait du prix Nobel de littérature 1978. Tout oppose les deux hommes, même si le fils ne veut pas intervenir a posteriori dans le conflit qui a séparé ses parents: sa mère était communiste, et voulait partir en Union soviétique; son père, très hostile à Staline, a préféré émigrer aux Etats-Unis, où son frère aîné Josuah l'avait invité à le rejoindre. Croyant en Dieu et aux esprits, peu attiré par le sionisme, le père se méfie de l'engagement politique du fils, laïc, rationaliste et membre d'un kibboutz. Ecrivain contemplatif d'un monde disparu (le yiddishland d'avant-guerre) dans une langue en déshérence, le