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Critique

La nuit du chasseur. La civilisation grecque n'a pas été seulement le berceau de la raison. Walter Burkert restitue aussi le rôle persistant de ses rites sacrificiels. Walter Burkert. Sauvages Origines, Mythes et rites sacrificiels en Grèce ancienne. Les Belles Lettres, 192 pp., 125 F.

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publié le 9 avril 1998 à 0h40

La Grèce antique fait figure d'âge d'or: Athènes invente la

démocratie, et des citoyens exhortent sur l'Agora un auditoire épris de justice et de vérité. Mais pendant que les écoles philosophiques fleurissent, que la lumineuse «raison» prend le pas sur la force brute du monde barbare environnant, demeure, portée par le théâtre d'Eschyle, de Sophocle ou d'Euripide, la «mémoire tragique» de cultes plus sombres, où jouent violence et mort, meurtre et sacrifice.

Extase et horreur soulèvent la conscience ­ comme on dit «soulever le coeur»: ce sont les deux ingrédients de l'ivresse dionysiaque qui diluent la raison et anéantissent le sujet «en un complet oubli de soi-même», comme le disait le jeune Nietzsche dans La Naissance de la tragédie. Professeur de philologie classique à Zurich, Walter Burkert, dans les cinq articles de ses Sauvages Origines, explore à son tour les mystères du théâtre grec, en faisant retrouver quelque chose de l'intuition de son génial aîné.

Le mot «tragédie», confirme-t-il d'abord, veut dire «chant accompagnant le sacrifice d'un bouc à Dionysos». De plus, cette théâtralisation met en scène une «expérience intérieure» débordant les frontières du fameux berceau hellène, et qui perdurera à travers les siècles: à l'occasion du rite sacrificiel, «l'homme provoque la mort et en fait l'expérience». Walter Burkert souligne «l'ambivalence des sentiments» qui s'expriment alors: «Au centre du sacrifice ne résident ni l'offrande aux dieux ni la communion avec eux, mai