Menu
Libération
Critique

Bounine: «Et moi?»Premier prix Nobel russe, mort exilé en France en 1953, caractère de cochon et talent délicat, le nouvelliste Ivan Bounine n'a pas la postérité qu'il mérite. Ivan Bounine, L'Ami inconnu, Traduit du russe et présenté par Anne Flipo Masurel. Mercure de France, «Bibliothèque russe», 170 pp., 90 F.

Article réservé aux abonnés
publié le 23 avril 1998 à 23h26

Une femme respectable exige d'un jeune homme qu'il la tue. Une

lycéenne se fait assassiner sur un quai de gare par un vulgaire cosaque. Un effrayant marin, qui ne croit pas au remords des assassins, trucide tranquillement une prostituée. Chez Ivan Bounine, qui a chipé le Nobel à Gorki en 1933 (le prix était attribué pour la première fois à un Russe, Bounine était un Russe blanc), il y a bien des manières de lier la mort et le sexe, sans morale aucune. Après la Grammaire de l'amour, proposée l'an dernier par Andreï Makine aux éditions Sables (1), huit nouvelles paraissent au Mercure, six inédites, deux reprises du recueil le Monsieur de San Francisco, mais rafraîchies par la traduction. Grâce à elle, un détail passé inaperçu dans la précédente version devient obsédant. La lycéenne trop féminine, Olia, est convoquée par la directrice qui tricote, «et elle leva les yeux, tout en tirant sur le fil et faisant virevolter sur le parquet laqué la pelote qu'Olia suivait des yeux avec curiosité». Les histoires de l'Ami inconnu, qui couvrent la palette bouninienne, des années 10 aux années 40, commencent sur un cimetière, un cavalier dans la nuit, ou une rue l'hiver. «Chez moi, c'est toujours ainsi, explique Bounine. Sans cesse, sans nulle raison, quelque image me traverse l'esprit ­ un visage, un paysage, un temps ­, traverse et disparaît, parfois elle se fixe soudain, retient l'attention, demande confusément à être développée, précisée, et m'émeut" C'est de là que proviennent la plu