Menu
Libération
Critique

Face aux Phasmes.Que voit-on quand on ne voit rien? Par Georges Didi-Huberman, une traque, à travers l'art et la zoologie, des «phasmes», corps devenus décors. Georges Didi-Huberman, Phasmes ­ Essais sur l'apparition, Minuit, 248 pp., 145 F.

Article réservé aux abonnés
publié le 23 avril 1998 à 23h27

Loup, y es-tu? Si tout de go il se montrait, le loup, il ferait bien

peur: mais on le craint davantage quand il n'apparaît pas, parce que, n'étant nulle part, il est partout. Il se peut d'ailleurs que, parcourant la forêt en tous sens, pour le fuir ou le traquer, on «tombe» sur ce qu'on ne cherchait pas: un champignon rare, une pièce de monnaie étrusque, un mouchoir taché de sang, les ossements d'un mastodonte. Cela arrive parfois au chercheur: il traque avec méthode les leptons porteurs de la charge Q, le mystère d'un tableau de Fra Angelico, le sens abscons d'un fragment de Plotin, et le voilà saisi par ce qu'il n'attendait pas, des «choses de passage», inopinées, tantôt de purs fantasmes, couteaux sans manche ni lame ou animaux sans queue ni tête, tantôt des «révélations», des anges qu'on n'avait pas aperçus au plafond de la chapelle Sixtine, des superparticules dont on ne soupçonnait pas l'existence, un sens qui, soudain, jaillit de la collision de deux phrases ou de deux images. On ne sait pas trop si ces «fantômes» ­ on les appellera des phasmes ­ sortent des yeux ou émanent des choses. Mais cela n'a guère d'importance: il faut que la pensée s'y fasse, qu'elle ouvre la logique de la recherche à l'extravagance de la trouvaille, qu'elle quitte, un temps, la patiente enquête des «choses pertinentes», pour faire place à l'«impatience ou l'impertinence des choses fortuites».

Phasmes ­ Essais sur l'apparition: Georges Didi-Huberman (1) a réuni là récits, analyses, contes, étud