Londres, envoyé spécial
I l n'enlève jamais ses lunettes rondes, même pour dormir: «Comme ça, quand je me réveille, je vois tout de suite les choses autour de moi.» Pour un vieil exilé comme Guillermo Cabrera Infante, né à Cuba et naturalisé britannique, c'est important. Le moindre détail environnant lui prouve qu'il existe: un havane, un café serré, l'immense télé, sa charmante femme, Miriam, ex-rouleuse de cigares et actrice de la télévision cubaine, et le philodendron géant qui, bouffant la lumière, fait rideau avec la rue et achève de rappeler une île sous la pluie d'une autre île. «Mon appartement est totalement cubain, dit-il, et, ma femme et moi, nous parlons en cubain. Peu de gens pourraient nous comprendre.»
Dans un texte non publié en France (1), il a écrit: «Parfois, je me crois invisible. Cela arrive quand j'enlève ma veste de tweed, mon pull-over de laine, mon pantalon de velours côtelé, mes chaussures de cuir de vache retourné, puis mon caleçon. Alors je me regarde dans le miroir, et je ne vois rien.» Mais le regard, espiègle, insolent, énergique, regard d'Alice au pays des merveilles (l'une de ses bibles), reprend vite le dessus. Et, avec lui, Cuba: ses parodies, son autodérision. L'homme de 69 ans, l'ancien fêtard qui a lu tous les livres, devenu ce paisible gentleman de Gloucester Road, voit alors un bordel de volumes et de manuscrits qui envahit, du sol au plafond, son appartement néovictorien. Il y vit sans luxe depuis trente ans, comme un aveugle en sa bib