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Libération
Critique

Suis-je bête

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Un miroitement de savoirs et de fantasmes sur l’humanité et l’animalité.
publié le 23 avril 1998 à 23h28

L’homme est un animaloïde, disent les darwiniens. L’animal est un humanoïde, rétorquent les romanciers, poètes et conteurs pour enfants. Dans Si les lions pouvaient parler, Boris Cyrulnik, éthologue et neuropsychiatre, a assemblé un miroitement de sentiments populaires, de thèses savantes, philosophiques et littéraires jaillis d’une même source: l’«état de nature» de Rousseau, où la vie se mène sous «la condition animale».

Le Zarathoustra de Nietzsche dit que «l'Homme est une corde tendue entre la bête et le surhomme». La formule rappelle l'impératif grec intimant à l'homme de ne pas se mesurer aux dieux, sous peine de retomber au niveau de «la bête». Cette ligne verticale en croisait une autre, qui faisait de l'homme le «citoyen» protégé par sa culture d'un monde de «bestialité». Un troisième axe venait distendre cette géométrie courbe: celui des «origines», où, selon Anaxagore, hommes et animaux ne différaient pas.

Si l'homme est devenu un «animal moral» et a façonné sa propre émergence, il reste marqué par cette empreinte animale. Son identité s'exprime donc en termes de rapport: «contrairement à l'animal», l'homme aurait interdit l'inceste (Lévi-Strauss), inventé l'art (Bataille), pris conscience de la mort (Freud); il se serait émancipé de l'animal en sublimant ses pulsions, en surdéveloppant sa complexité neuronale; son animalité serait refoulée par l'invention d'une téléologie historique, la fabrication de significations sémantiques, la transformation de son rapport à