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Interview

«Ungaretti avait réussi, en hurlant, à arrêter une rame de métro»

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Secrétaire de Giono, lieutenant d'Eluard, traducteur d'Ungaretti, ami de Queneau: quelques-uns des souvenirs de Jean Lescure recueillis au bord d'une piscine cannoise.
publié le 21 mai 1998 à 1h47
(mis à jour le 21 mai 1998 à 1h47)

Ungaretti et la traduction

«Ungaretti était un personnage hors du commun, dont j'ai traduit les Cinq Livres (Minuit, 1954). Un vieux lion magnifiquement décrit par Chastel, que j'avais connu par l'intermédiaire d'antifascistes italiens. Paulhan prétendait qu'un jour, Ungaretti avait réussi, par ses hurlements à arrêter une rame de métro parisien! Moi-même je l'ai vu à Venise hurler contre un lauréat de la Biennale qui ne lui plaisait pas: on l'entendait à cent mètres à la ronde. Sa poésie est tout le contraire, brève, contractée. Il parvenait à ce silence que doivent acquérir les mots dans un poème, il les amenait à une sorte d'exténuation d'eux-mêmes. «M'illumino d'immensità»: comment voulez-vous traduire ça? J'ai laissé ces mots en italien. Traduire c'est se confronter à des énigmes incessantes. Surtout quand il s'agit de poésie: on est aux limites, on est devant rien mais dans ce rien il y a quelque chose. Un de mes amis peintres, qui était charcutier à Asnières et que j'ai connu parce qu'il fréquentait mon cinéma, vivait la même chose avec ses toiles. Il avait commencé à peindre dans un camp de prisonniers en Allemagne et il peignait dans un affrontement permanent avec les couleurs. Plusieurs fois, dans son atelier, je l'ai vu parler à ses tableaux, les interroger, les menacer. Comme s'ils cachaient quelque chose et qu'il voulait les faire avouer.»

Giono et le Contadour «En 1935, je suis parti en vacances sur la Côte d'azur à pied, depuis Genève, avec le fils de ma nourrice, un g