En février 1899, Emile Nouguier, vingt ans, est arrêté par la police
lyonnaise pour l'assassinat d'une cabaretière. Il est ce que l'on appellera quelques années plus tard un «apache», jeune voyou qui a jusqu'ici vécu du vol, du proxénétisme et de l'attaque nocturne. Emprisonné à la prison Saint-Paul de Lyon, Nouguier se met bientôt à noircir du papier, tenant d'abord un journal, puis s'essayant à l'autobiographie. A un moineau qu'il apprivoise dans sa cellule, il fait le récit de sa vie de délinquant. Une vie d'enfant instruit (il a fréquenté l'école primaire supérieure), issu d'une famille qui n'est pas pauvre, mais disloquée: après la mort de la mère, le père, pourtant remarié, mène une longue relation incestueuse avec sa fille aînée. Mais l'intérêt du récit de Nouguier ne réside ni dans les péripéties criminelles ni dans le témoignage social. Il s'agit en effet d'une sorte de récit «sous contrainte». A Saint-Paul, les cahiers de Nouguier ont vite attiré sur lui l'attention du professeur Lacassagne, chef de file de l'école criminologique française, qui lui donne conseils, critiques et encouragements. Comme le rappelle Philippe Artières dans sa postface, la science, médecine en tête, espérait alors pouvoir lire dans le texte la nature même du crime. Et Nouguier joue le jeu, adapte son récit aux attentes du criminologue comme à celles du discours social. La vie qu'il écrit est celle d'une chute programmée par le vice, l'orgueil, les mauvaises lectures et la théorie du milie