Nietzsche-Marx-Freud: la trilogie fondatrice de l'esprit de notre
siècle est bancale. Car nul ne saurait dire ce que l'auteur d'Ainsi parlait Zarathoustra lui a exactement apporté. L'annonce que «Dieu est mort»? Que la métaphysique est vouée au «nihilisme»? Ou que «tout» (sujet, morale, vérité, savoir) est emprisonné dans les rets de l'«étant»? Ce flou de la leçon nietzschéenne justifiait à lui seul qu'un philosophe écrivît sans se laisser impressionner par l'insolence de la formule un Vrai Nietzsche.
Jean-Pierre Faye, en l'occurrence, s'est occupé de rectifications précises, qui ne prétendent pas délivrer tout Nietzsche au lecteur mais dans cette entreprise, dont le sous-titre dessine l'espace et les frontières («Guerre à la guerre»), une vision globale de la pensée nietzschéenne finit bel et bien par ressortir. Et sa place au Panthéon des inaugurations philosophiques reprend tout son sens: Nietzsche demande à être lu pour la pertinence et la force de ses analyses sur les idéologies racistes et nationalistes qui forment les ingrédients toujours actuels de nos propres guerres. Il conserve une pleine actualité pour une Europe cherchant toujours aujourd'hui à dépasser le «chauvinisme absolu» qui la hantait déjà à la fin du siècle dernier, qui présida aux deux guerres mondiales et dont l'extrême persiste sous l'étiquette d'un Front national.
A l'inverse de Kant, le philologue bâlois «prend sa malle et voyage». Il fait l'expérience exaspérante des douanes tatillonnes qui qu