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La toile du matelas, par PHILIPPE ISARD

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UN ÉTÉ 98. Faits divers d'été. Chaque jour, un écrivain de la Série Noire s'inspire d'une dépêche parue dans «Libération».
par Philippe ISARD
publié le 23 juillet 1998 à 6h27

Libération: 19/11/86

Une femme de 60 ans est restée bloquée, accroupie, pendant neuf heures, derrière son lit rabattable, qui s'était refermé sur son occupante, à la suite d'un incident de contrepoids, à Freyming-Merlebach, en Moselle, dans la nuit de dimanche à lundi. Des voisines accourues par une fenêtre ont dû appeler les pompiers pour démonter le lit piégé qui ne voulait rien savoir.

Comme une idiote, je m'étais glissée derrière mon nouveau lit escamotable à la recherche de mes boules Quies, perdues durant la nuit. A mon âge, je ne pouvais m'endormir que dans un silence total, loin du calme feutré et inquiétant de la nuit qui m'empêchait de rêver à mes jeunes années. A quatre-vingts ans, on ne fonctionne plus pareil, les souvenirs s'entremê-

lent, les angoisses, les peurs, les mauvais présages toquaient à la porte de mon inconscient, laissant dans l'oubli mes rêves perdus et acidulés de jeune fille. Mon mari était parti l'année dernière et dormait maintenant dans le caveau en marbre noir acheté avec nos dernières économies. Je ne pouvais plus m'allonger dans mon ancien lit, témoin de nos amours lointaines et de nos déchirements. Il me rappelait trop ma vie de couple et je n'osais plus m'étendre sur l'empreinte laissée par mon vieux mari. Un matin, n'en pouvant plus, je me suis finalement décidée à racheter au voisin du dessus son lit relevable, moderne, qui se refermait automatiquement dans un meuble. J'avais fait installer le tout dans ma salle à manger, exposée au sud et