Comment devient-on américain? Comment, entre XIXe et XXe siècles,
des millions des migrants, la plupart d'origine paysanne, des misérables souvent analphabètes, venant par vagues des coins les plus reculés de la vieille Europe, s'intègrent-ils dans le Nouveau Monde? L'individu est-il si perfectible qu'il réussit à passer très vite de l'arriération la plus fruste à la modernité la plus triomphante? Cette disposition à devenir homme, et homme américain de surcroît, lui appartient-elle en propre ou faut-il la mettre sur le compte du modèle social qui l'accueille? Ce sont, en Amérique au début de ce siècle, les questions que l'on pose aux sciences humaines naissantes. Généralement, les réponses caressent dans le sens de son poil optimiste une société en transition permanente, mais la mettent aussi en garde contre l'emballement du système. En ligne avec le darwinisme social dominant, la sociologie ne cesse de rappeler que le peuplement humain ne diffère en rien de l'occupation de l'espace par les espèces animales. Dans les deux cas, tout est question d'équilibre. Dès lors, le sociologue se veut tant décrypteur que prescripteur. Pas plus que les autres recherches fondatrices de cette époque, le Paysan polonais en Europe et en Amérique de William I. Thomas et Florian Znaniecki n'échappe à cette double injonction. Publié à Boston en 1919, cet ouvrage mythique est traduit aujourd'hui en français.
En Amérique, c'est possible. Ainsi William Isaac Thomas, un professeur de grec et d'anglai