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Critique

Lénine en morceaux. La biographie d'Hélène Carrère d'Encausse montre un Lénine autocrate, intolérant et cynique, méprisant l'ouvrier presque autant que le paysan. Hélène Carrère d'Encausse. Lénine, Fayard, 684 pp., 168 F. Jean-Jacques Marie. Staline, Joseph Djougachvili, Autrement, 228 pp., 89 F. Jean-Jacques Marie. Trotsky, Léon Bronstein, Autrement, 230 pp., 89 F.

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publié le 8 octobre 1998 à 13h38

De tous les grand acteurs de la tragédie soviétique, c'est Lénine

qui a longtemps le mieux tiré son épingle du jeu de l'Histoire: embaumement, mausolée, sanctification, vénération. Epargné par les révélations très sélectives du rapport Khrouchtchev de 1956, son mythe sortit même fortifié de l'épreuve tandis qu'une légende s'installait dans les esprits: les dérives sanglantes du soviétisme étaient définitivement l'oeuvre de Staline, et la voie du salut passait par un «retour à Lénine». Le rassurant couplet nous a été servi pendant plus de trente ans, nonobstant l'iconoclaste Lénine à Zurich d'Alexandre Soljenitsyne (1975). Il fut même repris par Gorbatchev, et jamais Boris Eltsine, pourtant officiellement rallié à cette démocratie que vomissait Lénine, n'envisagea d'expulser la sainte momie de la place Rouge. Elle y est toujours et fait encore quelque recette en ces temps d'angoisse, de nostalgie et de perplexité. Elle n'en a pas moins considérablement perdu de son aura depuis que les portes des archives soviétiques ont été entrouvertes, au début de la décennie, à quelques historiens spécialisés. Ce qu'ils en ont rapporté est en effet accablant pour l'image rabâchée du génial Lénine, proche du prolétariat, sévère mais juste, fondateur intransigeant d'un projet social révolutionnaire qui allait être saccagé par Staline.

Le Lénine d'Hélène Carrère d'Encausse s'inscrit dans ce processus de relecture de la légende, même s'il ne comporte pas de révélations historiques par rapport