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Interview

La liste de Lustiger. Que peuvent raconter les objets, une fois morts leurs propriétaires? Les persécutionsnazies par fragments de destins. Premier roman d'une Allemande qui vit à Paris. Gila Lustiger. L'Inventaire. Traduit de l'allemand par Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize. Grasset, 350 pp., 128 F.

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publié le 15 octobre 1998 à 14h05

L'Inventaire est le premier roman de Gila Lustiger, née à

Francfort-sur-le-Main en 1963. Il s'ouvre sur le départ de Galicie d'une jeune fille qui s'en va tenter sa chance à Berlin. A l'autre bout du livre, Dora Wellner, devenue Dora Lipmann, n'est plus de ce monde. Elle est un personnage parmi cent autres dont l'Inventaire est le mémorial, et qui se croisent, disparaissent après avoir eu chacun son destin, puis ressurgissent, avant d'être emportés dans la tourmente. La manière dont ces apparitions sont orchestrées n'est pas l'aspect le moins audacieux, le moins passionnant de l'entreprise. Du début des années 20 à la fin de la guerre, en vingt ans et trente-cinq chapitres, par instantanés, avec une distance ironique ou glacée, l'auteur raconte l'Allemagne nazie.

L'effet documentaire qui s'exerce parfois n'est qu'un raffinement de la fiction. L'ancien propriétaire du bâtiment où la Gestapo s'est installée, le sort de vingt-cinq homosexuels arrêtés, l'histoire de l'inventeur du nettoyage à sec, celle du propriétaire de grand magasin converti au judaïsme: autant de constats imaginés. En revanche, deux listes réelles, établies par les nazis, sont reproduites. L'une est l'inventaire des biens juifs sous séquestre, kilos de broches, de perles, d'alliances en or ou de stylos, cinq malles de timbres, une valise de couteaux de poche. L'autre est une liste d'autorisation de déménagement pour des candidats à l'émigration. Ils ont le droit d'emporter vingt cahiers de mathématiques mais