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Libération
Critique

Les chaînes qu'on abat

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A travers la double image d'un abolitionniste fanatique du XIXe siècle et d'un père écrasant, Russell Banks poursuit sa descente dans la conscience de l'homme blanc américain.
publié le 29 octobre 1998 à 12h48

D'où Russell Banks tire-t-il la force d'un tel labeur? Qu'est-ce qui le pousse à recomposer sur 770 pages bien serrées un épisode furtif de l'histoire américaine du XIXe siècle? Pourquoi traque-t-il ainsi dans ses moindres replis la figure d'un abolitionniste fanatique du nom de John Brown qui mena en 1859, avec une vingtaine d'hommes, un raid suicidaire vers le village virginien d'Harper's Ferry dans l'espoir avorté d'armer les esclaves et de déclencher une guerre de libération? La première réponse n'est pas la plus attendue: John Brown, expliquait l'écrivain lors de la publication américaine de son nouveau roman, vivait à North Alba, au coeur du massif des Adirondacks, dans le nord-est des Etats-Unis, là même où Russell Banks s'est acheté une maison il y a quelques années. Brown organisait les convois du «train souterrain» qui aidait les esclaves à fuir vers le Canada. Le romancier trouve dans ce voisinage un terreau particulièrement fertile. «Il m'était impossible de résister à sa présence fantomatique», disait-il de Brown dans les colonnes du Herald Tribune. Comme il lui est impossible d'échapper à ces contrées du Nord où ses romans le ramènent toujours, à ces régions où les ténèbres de givre ont «une odeur de forêt et de feu» et où fut fondé un idéal américain dont il chronique le déclin depuis la Dérive des continents. Banks y est né, s'est «sauvé» en leur échappant et y revient fatalement en fiction «avec la culpabilité de celui qui a survécu». Ce sentiment a rarement