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Libération
Interview

Liban gueule de bois. Sous la forme d'une correspondance imaginaire avec Kawabata, Rachid Al-Daïf évoque les souffrances d'une génération broyée par la guerre. Entretien. Rachid al-Daïf. Cher monsieur Kawabata. Traduit de l'arabe (Liban) par Yves Gonzales-Quijano, Sindbad-Actes Sud, 160 pp., 98 F.

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publié le 29 octobre 1998 à 12h49

Dans le monde arabe d'aujourd'hui, le Libanais Rachid al-Daïf est

assurément, avec l'Egyptien Sonallah Ibrahim, l'un des observateurs les plus fins de sa société et son histoire. Alors que Passage au crépuscule décrivait l'horreur muette de la guerre du Liban, Cher monsieur Kawabata revient, sous une forme intime et introspective, sur l'itinéraire de sa génération broyée par la guerre: du combat contre le monde des pères, des montagnards durs, intolérants et jaloux, à l'aveuglement des fils qui ont attisé les flammes de l'enfer en croyant oeuvrer à l'établissement du paradis socialiste sur terre" «Nous étions plus adroits avec les mots qu'avec la réalité», confesse le narrateur, un homme en miettes, brisé, désemparé, qui ne cesse de digresser, se reprendre et prendre son correspondant imaginaire à témoin, agité par une peur panique d'être mal compris. Car les mots des intellectuels ont été comme des grenades dégoupillées pendant la guerre du Liban, autant que les balles des miliciens. Et c'est pour cela que Rachid al-Daïf les désarme à sa manière, ironise sur la beauté, tragique et belle, de la langue arabe où Dignité rime avec Histoire, où la Mémoire appelle la nostalgie de la Renaissance.

La haine est venue plus tard, avec l'amertume de l'après-guerre, cette terrible gueule de bois où les assassins d'hier ressortent au grand jour, «comme si de rien n'était». Le narrateur, lui, ne peut rien oublier de ce qui c'est passé. Et c'est cette amnésie générale, la solitude de chacun