Tristram Shandy s'inscrit tout entier entre deux questions, toutes
les deux posées par madame Shandy mère. La première, au premier chapitre du livre I, adressée à Mr. Shandy en un moment extrêmement délicat, fait courir quelque risque à la conception du héros: «Pardon mon ami, dit ma mère, n'avez-vous pas oublié de remonter la pendule?» A la seconde, au chapitre 33 et dernier du livre IX et dernier de l'ouvrage, «Seigneur! dit ma mère, qu'est-ce que c'est que cette histoire?». Le révérend Yorick, en qui on s'accorde à reconnaître un porte-parole de l'auteur, monsieur Sterne, répond qu'il s'agit d'une Cock and Bull Story, d'une affaire de «cock» et de «taureau», c'est-à-dire, encore, d'un problème de fécondation. On peut en conclure, pour répondre à une interrogation de la critique, perplexe, et divisée sur la question de savoir si le roman est véritablement terminé au moment où il s'arrête, qu'on ne saurait imaginer meilleures fins que celles qui nous ramènent aux commencements.
Or Tristram Shandy, on le sait, n'en finit pas de commencer. Il est censé rapporter la vie et les opinions de son héros; mais, jusqu'au milieu du livre III, celui-ci n'a pas encore achevé de naître. Le récit est sans cesse emporté par le démon de la digression. Tant et si bien que ne ce n'est qu'au moment où Tristram va, enfin, venir en ce monde que l'auteur nous dit: «Je suis débarrassé de tous mes héros et puisque, pour la première fois, je dispose d'un certain loisir, je m'en vais le mettre à profi