Peut-être pas un enquiquineur, qui chaque jour vous rappelle qu'on
ne se gare pas là et que sortir tard la poubelle réveille le quartier. Mais un ours. Un ours mal léché. De ces esprits bougons qui maugréent et pestent en marchant, contre tout, contre tout le monde. Un mauvais coucheur, qui tantôt s'enflamme de saintes colères, et tantôt, avec une méticulosité chirurgicale, déchiquette au laser de la satire les travers, les impostures, les tours de passe-passe, les simplifications ou les compromissions dans lesquels il lui semble que les penseurs ses frères tombent parfois, et les journalistes faux frères toujours.
Jacques Bouveresse n'a pas tout à fait usurpé sa réputation. C'est en effet un drôle de zig, qui, s'il avoue être aujourd'hui pacifié, et se plaire surtout à «réparer des objets divers» ou lire des romans policiers, ne reconnaît encore d'autre modèle de sagesse que celui de Diogène le cynique. Mais, à lire l'autobiographie intellectuelle qu'il dessine dans le Philosophe et le réel, on s'aperçoit que cela ne tient pas qu'à une question de caractère, assurément, «pas facile», qui le porterait à se méfier plutôt qu'à applaudir, à argumenter plutôt qu'à séduire, à marcher seul plutôt qu'au pas. Dans la lignée des esprits originaux qui l'éclairent de Musil («un des plus grands penseurs de notre temps») à Sterne ou à Lichtenberg, de Kraus à Valéry et à Wittgenstein, dont il est l'«introducteur» en France, et le spécialiste internationalement reconnu Jacques Bouveress