Sa silhouette voûtée jaillit d'un fond noir comme une nuit compacte.
Son regard semble chargé de visions glaçantes et vertigineuses, il a des cernes alourdis, un rictus scelle ses lèvres sur un silence amer: posant pour le peintre Jakob Schlesinger, Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1) s'est donné un air imposant, comme s'il avait voulu donner forme à la terreur incarnée. Son portrait, presque un masque mortuaire, figure sur la couverture d'une biographie qui interroge moins la pensée du philosophe que ce qu'il y a d'imprévu et de méconnu encore dans le personnage. C'est le Hegel de Jacques d'Hondt (2). Hegel naît le 27 août 1770 à Stuttgart et grandit dans l'une des plus archaïques provinces d'Allemagne la Souabe, gouvernée par le duc de Wurtemberg, tyran cruel et débauché. Flanqué de ses compatriotes d'infortune Hölderlin et Schelling! l'excellent élève du collège luthérien de Tübingen (le Stift) «ne songe qu'à s'en aller». Tous les trois sont sensibles aux vents des Lumières, qui leur parviennent tant bien que mal: les ouvrages de Kant et de Fichte, de Rousseau et de Montesquieu font leurs délices interdites. Le jeune Hegel, qui perçoit l'appel à l'«émancipation du peuple» dont toute l'Europe retentit, n'a pas de doutes sur l'avenir: le XIXe siècle sera universaliste et progressiste, aux antipodes de ce que l'enseignement lui martèle. De là cette seconde nature que Jacques d'Hondt perçoit comme une longue ligne de fuite et qui se traduit par l'art de la «duplicité», de